Ceux qui me connaissent savent que je peste souvent contre l’inaction qui découle de l’application dogmatique du « principe de précaution ».
Cependant, comme le dit l’adage populaire, la peur n’évite pas le danger. Ni la présence de données, le pouvoir de décision.
Dans un article à propos du principe de précaution, Gaspard Koenig affirme que « la clé du principe de précaution, et son plus grand danger, réside dans le refus de l’incertitude. Dans le doute, abstiens-toi. »
Je plussoie. Et le paradoxe ultime tient au fait que plus on a de données en main, plus les paramètres sont complexes, moins la décision paraît certaine. Le Big Data conduit alors nos gouvernants à ne plus décider. Le trop-plein de données paralyse.
Il faut donc supprimer l’application automatisée du principe de précaution, et surtout son institutionnalisation (ne parlons pas de son inscription dans la Constitution, sans doute l’acte législatif le plus ahurissant de ces dernières décennies).
Prenons l’exemple des OGM (d’ailleurs évoqué par Gaspard Koenig dans son article). De nombreuses études et des masses de données, plutôt contradictoires, laissent à penser que les OGM pourraient représenter un risque à terme, d’ici 20, 30 ou 50 ans, soit par une vague de cancers, soit par une modification de notre matériel génétique. Peut-être bien. D’ici là, les millions de gens qu’on pourrait nourrir mieux (voire nourrir tout court) grâce aux OGM seront morts. De faim. Alors, décider en conscience ou laisser la data justifier la paralysie?
Derrière le confort de la data, se profile la nécessaire puissance du décideur. Les données ne peuvent venir qu’en support de la décision, qui, elle, ne relève que de l’homme. D’ailleurs, au moment où les systèmes de traitement massif des données ont fait leur apparition (dans les années 80), ne parlait-on pas alors de « Systèmes d’Aide à la Décision »?
Il faut donc s’appuyer sur la data, mais sans se retrancher derrière. Il faut donc accepter que la data, même « big », puisse maintenir un certain degré d’incertitude; et ce, non pas vis-à-vis du présent [nous sommes sûrs que généraliser les cultures OGM réduiraient la faim dans le monde], mais vis-à-vis du futur [généraliser les OGM, mais avec quel risque pour la santé et l’environnement?]. Pourquoi? Parce que si fins que soient les modèles prédictifs fondés sur le Big Data, ils ne pourront jamais atteindre 100% de fiabilité.
Et même Nate Silver, le demi-dieu des modèles prédictifs aux Etats-Unis (cf. son portrait un brin ironique dans le Monde, ici) commence son livre culte – « The Signal and the Noise » – par une introduction sur le thème « plus il y a de données, plus il y a de problèmes »…
De ce fait, les décideurs doivent prendre un risque, si minime soit-il. Renoncer à la sacro-sainte précaution. Et ce pour le plus grand bien de tous, car prendre un risque, c’est la seule manière de créer la rupture. Quand on y pense, avec le principe de précaution, jamais les Américains ne seraient allés sur la Lune…
Alors oui au Big Data pour la Blitzkrieg, et non à la ligne Maginot du principe de précaution. Ou encore, pour rétablir l’équilibre, oui au Débarquement, et non au mur de l’Atlantique.
Vos data doivent susciter le mouvement, pas l’immobilisme, l’action, pas le renoncement, la conquête de nouveaux marchés, pas la défense d’un pré carré.
Vous avez des données, c’est sûr. Vous voulez agir, c’est certain. Alors n’hésitez pas, élicitez vos données pour percer le mur et prenez les décisions les plus éclairées!
[English version: Free your data: revoke the precautionary principle!]